Décryptage de la couverture journalistique de l’attentat de Pune

Cette page décrit les coulisses scientifiques du Mickey Mouse Projet, fruit d’une collaboration singulière entre Frédéric Feliciano, l’auteur du poème enquête sur la mort de Nadia M., et Rayya Roumanos, spécialiste de l’analyse des discours journalistiques et enseignante à l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine.

Portée par l’Idex Arts et Sciences de l’université de Bordeaux, ce travail analytique décrypte la couverture journalistique de l’attentat de Pune, source de malentendus sur les auteurs du drame et leurs motivations. S’agit-il d’un attentat terroriste perpétré par un groupuscule islamiste aux ordres d’Islamabad, comme l’annonce la presse dès les premières heures du drame, ou d’un complot ourdi par d’autres puissances et dont les ramifications échappent aux observateurs ?  Quel rôle le terroriste américano-pakistanais David Headley, connu pour ses rapports étroits avec la CIA, a-t-il joué  dans cet attentat dont la cible, un restaurant sans envergure de la ville de Pune, interpelle tant les journalistes ? 

L’initiative de cette analyse revient à Frédéric Féliciano qui, dans sa quête de vérité, cherche à comprendre les raisons des incohérences qu’il détecte dans la presse. Il s’adresse alors à Rayya Roumanos qui met en place un protocole analytique pour tenter de repérer les errances de la couverture médiatique de l’attentat de Pune et saisir, in fine, les modes de construction du « récit journalistique » de cette tragédie.

L’analyse de contenu des journaux qui ont couvert l’explosion du 13 février 2010 est structurée autour d'une question de départ :

„Comment l’attentat a-t-il été raisonné par des journalistes confrontés à un drame humain aux répercussions aussi bien politiques que sociales“

Un corpus de 1707 articles 

Le travail de recherche sur la couverture journalistique de l’attentat de Pune a débuté par la constitution d’un corpus d’articles relatifs aux faits étudiés. L’outil Factiva (1) base de données composée de plus de 32000 sources journalistiques, s’est avéré indispensable dans cette quête qui a permis d’extraire 1707 articles « pertinents », c’est-à-dire en rapport avec l’objet étudié.   

Dans un souci d’efficacité, Factiva a été programmé de manière à répertorier toutes les publications anglophones et francophones (deux langues que nous maitrisons) contenant le mot-clé « German Bakery » (appellation choisie par la presse pour désigner l’attentat, en référence au restaurant où à eu lieu l’explosion, le 13 février 2010), sur une période de six mois consécutifs à l’attentat (du 13 février 2010 au 13 aout 2010). Les articles rassemblés ont, par la suite, été triés afin d’écarter toutes les publications qui ne correspondent pas au drame de Pune. Ont été exclus, par exemple, les articles portant sur la vente d’une chaine de boulangerie allemande (german bakery) du nom de Kamps.  

Le corpus ainsi constitué n’est certes pas exhaustif. Il laisse de côté les articles qui ne sont ni anglophones ni francophones ainsi que l’ensemble des productions télévisuelles et radiophoniques (pourtant nombreuses) relatives à l’attentat. Il écarte, également, les publications qui dépassent le cadre temporel fixé (6 mois consécutifs à l’attentat) de même que toutes les sources qui ne sont pas répertoriées dans l’outil Factiva.  

Pour autant, les 1707 articles récupérés restent riches d’enseignement pour qui s’engage dans une analyse qualitative (2) des discours de la presse dans l’optique de déceler les modes de construction journalistique des évènements tragiques de Pune. Certes, l’extrapolation des résultats, même s’ils recoupent des analyses comparables sur des faits similaires (3), n’est pas envisageable. Ce n’est d’ailleurs pas le but de ce travail de recherche. Il s’agit plutôt de déconstruire les modes de construction du réel dans des récits journalistiques spécifiques, relatifs à des faits singuliers et appartenant à un écosystème particulier : celui de la presse indienne anglophone. Cette dernière est considérée comme l’une de plus rigoureuse du pays (4). De fait, elle s’adresse à une élite urbaine, instruite et cosmopolite (entre 8 et 11% de la population indienne maitrise l’anglais, langue officielle avec le Hindi. Le pays compte, par ailleurs, 18 langues majeures et une centaine de dialectes). 

5 titres de la presse anglophone

Parmi les titres les plus réputés de la presse anglophone, on retrouve, en tête du classement, le prestigieux Times of India, fondé en 1838 à Bombay. Ce quotidien généraliste figure parmi les 10 premiers quotidiens du pays, toutes langues confondues. C’est aussi l’une des premières publications anglophones au monde, en nombre de tirage (5).

Son concurrent principal est le quotidien de centre gauche The Hindu, réputé pour ses analyses indépendantes et ses prises de position équilibrées. Il dépasse le Times of India dans le sud du pays où il arrive en première position parmi les journaux anglophones. 

The Hundistan Time, lancé en 1924, trône, quant à lui, sur le podium à New Delhi. Quotidien conservateur au style sobre, il propose néanmoins un large éventail de contenus, dont une édition en hindi très suivie dans la capitale.

Un peu moins populaire, le Pioneer, né en 1865 a réussi à se réinventer en 1991 en modernisant son style, devenu plus percutant, plus critique vis-à-vis des institutions et, par moment, plus racoleur.

Enfin, the Indian Express, connus pour ses enquêtes sur des scandales politico-financiers et son ton « combatif », cumule des audiences importantes dans les grandes zones urbaines. 

Ces cinq médias ont suivi de près les événements de Pune. Ils ont couvert de manière extensive l’attentat en y consacrant plusieurs articles de fond. Ils figurent, de ce fait, au centre de notre analyse de contenu. 

3 agences de presse internationales 

Les trois agences de presse les plus suivies en Europe, AFP, AP et Reuters occupent également une place centrale dans cette étude parce qu’elles constituent l’une des principales (sinon l’unique) sources d’informations des médias occidentaux. Analyser leurs comptes rendus des évènements permet ainsi de saisir ce qui, au regard de la presse occidentale, constitue le ou les éléments les plus importants de la tragédie de Pune. 

Hétérogène, le corpus stabilisé est à la fois multi-sources et multi-genres. Il est composé d’articles factuels, de reportages, d’enquêtes et d’éditoriaux publiés dans des journaux aux temporalités (quotidien, hebdomadaire, mensuel, etc.), périmètres (généraliste, spécialisé) et origines (indienne, étrangère) divers. 

La seconde étape du travail de recherche a, de ce fait, consisté à décomposer cet agrégat disparate pour mieux le recomposer, c’est-à-dire l’organiser de manière à pouvoir en tirer des enseignements relatifs aux questions de recherche suivantes : 

  1. Comment l’attentat de Pune est-il devenu un « événement » journalistique ? 
  2. Comment le « récit » autour de l’attentat de Pune a t-il été élaboré ?
  3. Comment le « faire savoir » s’est-il mué en « faire croire », et la « monstration » en « persuasion » ?

1. La construction de l'évènement 

La couverture journalistique d’un attentat terroriste comme celui de Pune est assurément une affaire exceptionnelle. Le caractère inattendu et violent des faits vient interrompre de manière brutale le cours de l’actualité et son traitement journalistique entrainant une onde de choc qui envahit, petit à petit, l’espace public et entraine, dans son sillage, une déferlante de récits tragiques, d’hypothèses confuses et de récupérations politiques maladroites. Face au drame et à son double enjeu politique et médiatique, les journalistes se retrouvent bien souvent démunis. Ils sont pourtant investis d’un rôle de premier ordre vis-à-vis du public : rendre compte de manière minutieuse et impartiale des évènements et fournir les clés de compréhension de l’incompréhensible. 

Les défis de la couverture journalistique d'un attentat 

Produire un discours cohérent en temps de crise constitue, dès lors, un défi de taille pour ses professionnels rompus au travail de récupération, de vérification, et de restitution de l’information. De fait, plusieurs facteurs rendent difficile leur progression vers cet objectif : 

  • L’urgence d’abord, puisqu’ils sont contraints de présenter aux citoyens empressés (peut-on les blâmer?) des informations récoltées de manière hâtive et, potentiellement, erronées. La quête du scoop dans un univers médiatique ultra-concurrentiel vient renforcer cette dérive. 
  • La rareté des sources, ensuite, puisqu’elles sont bien souvent circonscrites aux déclarations des autorités publiques, ce qui entraine, immanquablement, une uniformisation du discours autour des causes, des conséquences et des auteurs de l’attentat. Deux mécanismes viennent renforcer ce biais et participer à la création d’une « signification univoque » du drame : le souci d’efficacité et le respect de la déontologie journalistique qui enjoignent les journalistes à questionner prioritairement les détenteurs « légitimes » d’informations « vérifiées » sur les faits en cours. 
  • Le troisième handicap provient du traitement affectif du sujet qui répond, certes, à la nécessité de donner la parole aux acteurs touchés par le drame, mais qui contribue aussi à rendre l’événement « sensationnel », à en faire un « spectacle » qui, bien souvent, amplifie de manière artificielle sa portée et limite, par le fait même, son intelligibilité.
  • L’impératif explicatif, enfin, qui s’impose aux journalistes dont le rôle, au-delà de décrire les faits, est de les rendre intelligibles, coûte que coûte, même si ses derniers échappent à la raison. Amalgames, exagérations ou omissions sont alors légion. 

En rendant compte des évènements, les journalistes participent, en réalité, à leur « construction » et à la stabilisation d’un récit autour des faits tragiques rapportés. Aussi, pour comprendre la construction journalistique de l’attentat de Pune, c’est à dire la « mise en ordre d’une histoire » (la sélection, l’interprétation et la restitution de l’évènement), faut-il garder à l’esprit que toute production journalistique, que ce soit une brève, un reportage ou une enquête, dépend : 

  • d’un choix éditorial (choix du sujet, de l’angle, des intervenants experts ou témoins, etc.) ; 
  • d’une mise en scène de l’information (choix de l’habillage, de la titraille, de l’emplacement de l’article dans un ensemble plus large, etc.) ;
  • et d’un commentaire dont l’objectif est de contextualiser les faits afin de les rendre intelligibles. 

Cette mécanique repose en grande partie sur des procédés narratifs qui viennent « donner du sens » aux informations relayées. De fait, le travail journalistique prend souvent appui sur les ressorts de la narration (l’unité dramatique, la mise en intrigue, l’élaboration de personnages incarnés, etc.) (6), afin de créer un récit cohérent des faits.

Le recours aux procédés narratifs 

Certains genres journalistiques sont, par ailleurs, plus perméables que d’autres aux procédés narratifs : le reportage, le portrait ou l’enquête comportent une dimension narrative qui, sans les faire tomber dans l’univers de la fiction, leur permet d’apporter un complément d’abstraction ainsi qu’une profondeur historique nécessaire à la compréhension des évènements. A contrario, la brève ou l’interview ne débordent que très rarement des faits exposés. 

Précisons néanmoins que l’écriture journalistique, qu’elle emprunte ou non au champ littéraire des procédés de mise en récit, a pour principale fonction d’informer le public. En d’autres termes, les choix éditoriaux et esthétiques des journalistes tendent prioritairement vers le « faire savoir ». Cette visée communicationnelle repose d’abord sur la restitution des faits (en répondant aux 5 W: quoi ? Qui ? Où ? Quand ? Pourquoi), mais comprend également une part d’interprétation qui relève d'une seconde visée indissociable de la première : la visée explicative (« faire comprendre »). 

« La radio annonce l'événement, la télévision le montre, la presse l'explique» disait Hubert Beuve-Méry, ancien directeur du Monde. Cette affirmation, quoi que réductrice, révèle l’une des fonctions principales du journaliste de presse écrite : expliquer l’information. Il doit puiser dans son bagage culturel et professionnel les éléments nécessaires à l’analyse des faits observés puis mobiliser ses aptitudes techniques et sa sensibilité esthétique (sa plume) pour restituer, de manière forcement subjective, ces faits. Pour autant, la subjectivité n’est pas, ici, synonyme de mensonges, de même que l’introduction d’éléments narratifs n’équivaut pas à une fictionnalisation du réel. Si le journaliste recourt à ces procédés c’est pour « faire ressentir le monde, de manière bien plus ‘réelle’ que ne le feront jamais une dépêche ou un lead bâtis sur la règle intangible des 5 W»(7). En réalité, faire appel aux ressorts de la fiction permet de restituer de manière plus efficace le réel, de dépasser la « description » pour permettre aux lecteurs d’accéder à la « compréhension ».

Informer, expliquer, convaincre 

Ces deux visées correspondent à trois logiques qui interviennent dans la construction du récit journalistique :  

  • La logique professionnelle, qui dépend des codes d’écriture, des règles déontologiques ou encore des contraintes éditoriales et matérielles auxquelles doivent s’adapter les journalistes ;
  • la logique commerciale guidée par le souci de l’audience et l’enjeu de la captation dans un univers concurrentiel ;
  • et enfin la logique sociologique qui transparait à travers la création d’une vision du monde conforme à la culture et aux motivations des producteurs de l’information. 

Ces logiques conditionnent le « cadrage » (8) de l’événement, c’est-à-dire la structuration d’un récit dans lequel les acteurs clés (ici les terroristes, leurs victimes et les autorités publiques) sont nommés, définis et stabilisés. Leurs actions sont également délimitées dans un horizon explicatif au-delà duquel nulle autre hypothèse n’est envisageable. 

L’objet de cette recherche est d’expliciter cette construction, c’est-à-dire de rendre intelligibles les raisons et les enjeux qui ont conditionné l’élaboration du récit journalistique autour de l’attentat de Pune. 

2. L'élaboration du récit 

Le récit journalistique de l’attentat de Pune et de ses répercussions sociales et politiques peut se lire de différentes manières. Nous faisons le choix d’aborder, dans un premier temps, son architecture temporelle pour ensuite étudier son organisation thématique et sa structure narrative.

La progression chronologique 

Pour saisir la progression chronologique des faits médiatisés, nous avons créé un diagramme marquant la fréquence de publications d'articles qui ont pour objet l'attentat de Pune, sur une période de six mois, auquel nous avons associé des indications sur les évènements marquants qui ont eu lieu durant cette période (explosion, déclarations des autorités, revendication, lancement de la procédure judiciaire, rebondissements, procès, acquittements, etc.) 

Cliquez sur le mois pour un déroulé des évènements marquants qui ont eu lieu durant cette période

Le premier constat que nous pouvons établir porte sur la longévité de la couverture médiatique de l’attentat de Pune. Habituellement, un fait d’actualité ne résiste pas au passage du temps. Comme l’explique Patrick Charaudeau, spécialiste de l’analyse des médias, le récit journalistique n’est pas un récit historique : « les événements rapportés par les médias doivent faire partie de ‘l’actualité’, c’est-à-dire d’un temps encore présent, considéré nécessairement comme tel, car il est ce qui définit (fantasmatiquement) ‘la nouvelle’. Celle-ci a donc une existence en soi, autonome, figée dans un présent de son énonciation» (9). 

Or, les événements de Pune continuent de défrayer la chronique plusieurs mois après les faits. Leur couverture médiatique dépasse d’ailleurs le seul périmètre de l’explosion pour devenir, selon l’expression de Sophie Mourant, un « moment discursif » (10), c’est à dire, un événement journalistique dont les grandes lignes ne cesseront de resurgir dans des discours ultérieurs sur le terrorisme. Certes la densité des publications s’étiole au fil des jours, mais le sujet réapparait continuellement pour rappeler, entre autres, que l’affaire est importante et que ses répercussions sont notables.

Le volume d’articles  consacrés à l’attentat sur une période de 6 mois se veut proportionnel à l’importance que prennent les faits en Inde, aussi bien dans la société que dans les médias. En comparaison, la disparition des dépêches d’agences étrangères sur le sujet dès le mois de mars (pour ne réapparaitre qu’en août, à la faveur d’un rebondissement dans l’enquête anti-terroriste) montre que l’affaire perd rapidement sa dimension internationale pour devenir un sujet local. 

Une analyse des informations mise en avant dans les dépêches du mois de février montre que les agences de presse étrangères privilégient deux axes dans leur cadrage des évènements :

1. La piste du terrorisme islamiste :

Abondamment relayée par l’AFP, AP et Reuters, cette hypothèse apparaît de manière indirecte dès le 13 févier, à la faveur de deux procédés argumentatifs : d’abord un rapprochement avec des attentats antérieurs commis par le groupe islamiste pakistanais Lashkar-e-Taiba. Ensuite, une insistance sur le possible ciblage d’étrangers dans l’explosion qui correspond au modus operandi des terroristes islamistes. 

L’AFP précise, le jour même du drame, que « l'explosion, qualifiée d'attentat par le ministre indien de l'Intérieur, est le premier acte de terrorisme important depuis les attentats de Bombay de novembre 2008, perpétrés par des membres du groupe islamiste Lashkar e-taiba basé au Pakistan, et qui avaient fait 166 morts, dont 25 étrangers, et plus de 300 blessés ». Le journaliste note, également, que « l'explosion s'est produite vers 18h30 locales (13h00 GMT) dans un petit restaurant fréquenté par la population locale, mais aussi par les touristes, le " German Bakery", situé à proximité du "Chabab House", un centre culturel et religieux géré par des juifs orthodoxes du mouvement Loubavitch. »

De son côté, AP publie une dépêche dans laquelle on peut lire, dès le premier paragraphe : « If confirmed, it would be the country's first terror attack since the Mumbai rampage in 2008 »(11) puis, plus loin, « Many of the bakery's customers are foreign travelers who visit the ashram. »(12) 

Reuters emprunte le même chemin. Dans le troisième paragraphe de sa première dépêche datant du 13 février, on peut lire : « Il s'agit du premier attentat grave en Inde depuis ceux de Bombay (Mumbai) en 2008 qui ont fait 166 morts», suivi de « l'explosion à la German Bakery ("Boulangerie allemande") est survenue en fin de soirée alors que l'établissement était plein de touristes et d'étrangers. »

Certes, le propos journalistique pris à la lettre ne dit pas que le Lashkar-e-Taiba est responsable de l’attentat de Pune. Par contre, il établit un enchainement logique entre deux événements dont le lien n’est pas encore prouvé, puis étale des indices susceptibles de renforcer cet a priori. De plus, il ne propose aucune une hypothèse alternative, limitant, par là, le champ de l’interprétation. 

2. Les enjeux géopolitiques de l’attentat dans un contexte d’instabilité régionale (13) 

Les trois agences de presse étrangères se focalisent sur cet élément qui acquière, dès lors, une valeur explicative. L’AFP précise que « cette attaque survient au moment où l'Inde et le Pakistan viennent d'accepter de reprendre le dialogue de paix interrompu après les attentats dans la ville économique indienne qui avaient fait 166 morts et 600 blessés ». 

Une formule similaire est adoptée par Reuters : « l'explosion intervient à moins de deux semaines d'une rencontre prévue, le 25 février à New Delhi, entre des responsables indiens et pakistanais. New Delhi a suspendu un processus de paix entamé quatre ans auparavant avec Islamabad après les attentats de Bombay imputés à des activistes basés au Pakistan. ». 

Pour AP, « The blast came as ties between India and archrival Pakistan appeared to be warming. The two countries agreed to hold talks in New Delhi on Feb. 25, their first formal negotiations since the Mumbai attacks. » (14)

Ces arguments donnent une profondeur historique au drame et laisse entrevoir une explication géopolitique à l’attentat : le but des terroristes serait de stopper net le dialogue entre l’Inde et le Pakistan. Les groupes islamistes proches du Pakistan en seraient les responsables. Mais qu’en est-il des groupuscules nationalistes hindous ? AFP et AP n’établissement aucun rapprochement entre la violence (parfois terroriste) de certains militants hindous opposés au dialogue avec le Pakistan et l’attentat de Pune. Seul Reuters évoque, dans une dépêche, la piste du nationalisme hindou, sans y accorder, pour autant, le même crédit que l’hypothèse islamiste. La possible implication des extrémistes hindous apparait au dix-septième et dernier paragraphe de l’article alors qu’on peut lire au septième paragraphe : « de source proche des services de sécurité, on précise que les soupçons se tournent évidemment vers le groupe islamiste Lashkar-e-Taiba (LeT), basé au Pakistan, mis en cause dans les attaques de 2008 à Bombay, et aussi vers un groupe local dénommé les "Moudjahidine indiens", également impliqué dans plusieurs attentats par le passé ».

Qu'en est-il de la presse indienne ? 

Du coté de la presse indienne anglophone, les articles publiés en février sont essentiellement de nature descriptive. Ils reviennent sur le bilan humain et matériel de l’attentat ainsi que sur les déclarations des autorités quant au déroulé de l’attaque et ses responsables potentiels. Une partie non négligeable de ces publications est également consacrée à l’effroi, la peine et la colère ressentis par les victimes et leurs proches ; trois émotions qui prédominent dans les reportages à valeur émotive qui imprègnent notre corpus d’une note devenue familière dans la presse après chaque attentat (quelle que soit sa localisation).  

En voici quelques exemples : 

  • Times of India, le 14 février 2010 : « He said people were running around in panic, women were crying and people were coming out of the Bakery with injuries on hands and feet. ''They were all foreign nationals, who were crying in shock. I went ahead and helped them ». (15) 
  • Times of India, le 16 février 2010 : « A day after the blast, fear prevailed among the many foreigners residing in the Koregaon Park area, especially in and around the North Main Road and the German Bakery . Their sense of shock and inability to get over the incident is palpable ».(16)
  • The Indian Express, le 15 février 2010 : « Numb with grief, parents of Anindyee and Ankik Dhar had to wait an entire day before they could get a glimpse of their children who died in the bomb blast on Saturday night (…) I feel like committing suicide. I spent my whole life compromising on our needs to shape our children's career and now God has taken away everything. » (17)
  • The Pioneer, le 15 février 2010 : « Their parents are inconsolable and shattered. The mother who has refused to eat or drink anything since the tragedy is mumbling the same question again and again as to what harm had her children done to anyone that they had to face this consequence ». (18)
  • The Hindu, 17 février 2010 : « Abhishek’s family will eventually receive compensation, but his friends say that does not matter. “We are all students who have come to Pune to study from different parts of the country,” says a friend. “We don’t want a good compensation. We just want our intelligence services to be efficient so that such attacks that target students can be prevented. » (19) 

À partir du mois de mars, nous observons des pics de publications qui correspondent, en fait, à des rebondissements dans l’enquête. Pour ce seul mois, par exemple, on dénombre 28 articles publiés le 1ermars, puis 17 articles publiés le 13 alors que la moyenne pour ce mois est de 7 articles par jour. 

La première date correspond à l’annonce du bilan définitif de l’attaque de Pune : 17 morts et 60 blessés. La seconde coïncide avec le triste anniversaire du drame. Pour la presse, c’est l’occasion de revenir, un mois plus tard, sur les avancées de l’enquête et de vérifier l’état (physique et émotif) des blessés et des proches des victimes. On y apprend que la bombe placée dans un sac de sport n’a explosé qu’au bout de 90 minutes, que l’unité anti-terroriste est sur le point de résoudre l’enquête, et que les premiers touchés par le drame ne parviennent pas à tourner la page. 

En mai, un pic de publications est observé le 25 et 26 du mois. Il correspond à l’arrestation d’un individu qualifié de « suspect clef » par les autorités : Abdul Samad Bhatkal, frère cadet de Yasin Bhaktal et Riyaz Bhatkal, tous deux membres présumés du groupe Indian Mujahedeen, proche du groupe islamiste pakistanais Lashkar-e-Taiba (responsable des attentats spectaculaires de Bombay en 2008). 

En juillet, la surprise tombe le 7 du mois. La presse indique que Abdul Samad Bhatkal sera relâché faute de preuve. Son avocat assure même que son client n’a jamais été inquiété par l’enquête sur l’attentat de Pune contrairement aux déclarations des autorités. La presse révèle alors que l’unité anti-terroriste a bâclé son enquête en accumulant les erreurs de procédure. Pour autant,les journalistes ne font pas leur mea-culpa, alors même qu'ils ont largement participé à relayer cette information tronquée, servant sans broncher l’agenda politique des autorités. 

Cela dit, à partir de cette date les articles sur l’attentat deviennent de plus en plus critiques. Les journalistes laissent échapper leur exaspération vis-à-vis des sources officielles (les portes paroles du gouvernement et les enquêteurs) dont le discours est désormais entaché. Une remise en question de la parole légitime se fait jour entrainant avec elle une réflexion plus globale sur l'incapacité du gouvernement indien à apporter une réponse convenable au terrorisme. 

L’analyse de l’architecture temporelle de la couverture journalistique de l’attentat dévoile, en fait, une succession de phases culminant dans cette dernière étape critique qui donne à l’enquête un goût d’inachevé. 

Cette structure n’est pas exceptionnelle. Au contraire, elle est une réplique presque parfaite de la couverture journalistique d’attentats antérieurs, dont celle du 11 septembre étudiée par Daniel Dayan. On y apprend que face à des actions terroristes spectaculaires,  une suite de « performances journalistiques »(20) se met en place, presque intuitivement, pour constituer un cadre explicatif à l’horreur. 

De la monstration qui caractérise les premières heures (ou les premiers jours) de la couverture d’un attentat, période durant laquelle le journaliste « subit » les faits et se contente de relayer le discours des sources officielles, on se dirige progressivement vers la démonstration, c’est à dire, le recours à des arguments de forces (témoignages, sollicitation d’experts) pour expliquer les faits, mais aussi pour démontrer le bien-fondé de ces explications. Durant cette seconde phase, les journalistes s’attèlent à la lourde tâche de resignifier l’événement (est-ce un acte terroriste ou un fait-divers ? s’agit-il de terrorisme islamiste ? qui sont les victimes ? qui sont les bourreaux ?) et de proposer des explications plausibles au drame.

S’ouvre ensuite une troisième phase, plus critique, durant laquelle des sujets polémiques font surface : les journalistes s’interrogent, entre autres, sur les "responsabilités internes" du drame et sur la pertinence des réponses politiques et sécuritaires.  

C’est ce que l’on retrouve dans le corpus d’articles sur l’attentat de Pune. Ceci étant, les journaux étudiés n’ont pas tous adopté la même posture vis-à-vis des défaillances gouvernementales. Certains ont été beaucoup plus critiques de d’autres. 

Les journalistes du Pionner, par exemple, ne mâchent pas leurs mots quand il s'agit d'évaluer l'enquête. On peut lire, dans un de leurs articles, la sentence suivante : « The Pune Police is still groping in the dark with no concrete input in the case. The helplessness of the Pune Police became all the more evident on Monday evening after Pune Police Commissioner Satyapal Singh failed to give any concrete reply to the questions raised regarding the entire investigation process. » (21) 

Le mot « helplessness » (impuissance) qui sonne comme une condamnation, préfigure un ensemble de critiques très acerbes vis-à-vis du pouvoir en place. Un éditorial du 5 mars 2010 parle, par exemple, d’erreur stratégique dans la relance de pourparlers avec Islamabad « The ill-conceived talks are widely perceived to have gone in Pakistan's diplomatic favour because India has come to the table under American pressure without Pakistan conceding anything, or delivering on any of India's requests. »(22) 

Quelque mois plus tard, l’éditorialiste reprend sa plume pour reprocher au gouvernement la faiblesse de sa réponse politique vis-à-vis du terrorisme islamiste : « Unfortunately, the so-called 'war on terror' is being fought by the Government without any political will or planning. Moreover, no analysis has been made of the circumstances that breed terrorism. Such a lack of understanding has resulted in the weakening of our fight against this menace. » (23) 

Puis le 15 juin, à la suite de la libération de Abdul Samad Bakhtal, le journaliste du Pionner fulmine : « In a major embarrassment to the Centre and the Maharashtra Anti-Terrorism Squad (ATS), Abdul Samad Bhatkal was released on bail by a Sessions Court on Tuesday for lack of evidence. » (24) 

Ces condamnations rappellent la posture critique adoptée par la presse indienne après l’attentat de Bombay. Roy Sudeshna et Susan Dente Ross, deux spécialistes de la région, notaient, à l’époque, que les commentaires souvent virulents des journalistes pointaient du doigt l’incapacité du gouvernement indien à juguler la menace terroriste parce que miné par la corruption interne et les calculs politiciens (25). Ces jugements sont néanmoins contrebalancés par d’autres discours qui viennent soutenir les efforts étatiques face à la menace terroriste et aux vélléités expansionnistes d'Islamabad, jugées autrement plus dangereuses.   

Dans the Indian Express, par exemple, les journalistes minimisent les erreurs commises par les services de police. Dans un article du 17 mai intitulé « Cops fail to get any lead from Bhatkal call records » (26) le journaliste commence son argumentation par rappeler que Yasin Bhatkal est un expert du brouillage de pistes : « The Indian Mujahideen man now in focus for his alleged role in Pune's February 13 German Bakery blast, Yasin Bhatkal alias Ahmed Yasin was adept at covering his tracks, leaving little physical evidence in the form of his contacts with associates and suggesting possible advanced training in terrorist activities, say investigators. » (27) Cette phrase introductive porte en elle la « circonstance atténuante » qui justifie l’échec.  Plus tôt dans la couverture de l’attentat, le journal faisait porter le blâme sur les citoyens dans un éditorial au ton très critique : « If, even after so many blasts and warnings not to touch unidentified or suspicious objects, this happens in a place frequented by foreigners and in a city where one expects a reasonable level of awareness, then no amount of intelligence and police can help. » (28) 

Qu’elles soient directes ou indirectes, dirigées contre le pouvoir en place ou contre les citoyens, les critiques sont monnaie courante dans la presse anglophone. Elles prouvent, d'abord, que le journalisme indien est pluriel. Elles révèle aussi que les journalistes anglophones tentent d'exercer leur métier de manière indépendante et de jouer, tant que faire se peut, un rôle du contre-pouvoir face à un agenda politique puissant. Pour autant, leurs discours ne s’écartent que très légèrement de celui des autorités sur l’un des points essentiels de l’affaire : la désignation des responsables du drame. 

Les choix de cadrage

Qui se cache derrière l’acte terroriste de Pune ? Cette question est au centre des préoccupations. Dès le premier jour, les journaliste échafaudent des hypothèses pour contextualiser et interpreter la tragédie. 

Sur quels indices se basent-ils ? Comment parviennent-ils à construire leurs théories ?  Et surtout, comment leurs convictions se transforment-elles en certitudes et le « faire savoir », objectif manifeste et valorisé du discours journalistique, en « faire croire », une visée inhérente et néanmoins problématique de ce même discours ? 

Pour répondre à ces questions, c’est à dire pour détecter les éléments de cadrage du récit, nous avons fait le choix de réduire notre corpus aux cinq principaux journaux anglophones indiens qui ont couvert l’attentat : Times of India, Indian Express, The Pioneer, The Hindu, et The Hundistan Times

Dans un premier temps, nous nous sommes penchée sur le propos mis en avant dans 372 articles publiés durant cette période puis nous avons vérifié les procédés narratifs employés par les journalistes pour construire leur récit des faits. 

Afin de repérer la thématique saillante de chaque article, nous avons cherché à détecter les « angles » adoptés par les journalistes, c’est-à-dire les axes principaux de traitement des sujets. Élément central du récit informatif, l’angle comme le souligne Denis Ruellan, spécialiste de la narration journalistique, relève d’une « routine journalistique de préconstruction qui permet une organisation anticipée du saisissement de l’information et une présentation rationalisée de celle-ci »(29). Il constitue de ce fait une étape centrale du processus de cadrage de l’information. Son choix préside à la construction de sens dans la presse puisqu’il impose des modes de lecture restrictifs.

 

La procédure judiciaire constitue la thématique principale des articles que nous avons étudiés. 166 textes sont consacrés aux éléments de l’enquête ainsi qu’au procès des coupables présumés de l’attentat. La grande majorité de ces articles sont de nature descriptive. Les journalistes se contentent de rapporter, sans les commenter, les faits tels qu’ils leurs ont été transmis par leurs sources : les autorités locales, les porte-paroles de la police et de l’Unité Anti-Terroriste en charge de l’enquête, ou encore des sources anonymes « proches du dossier ». 

La « parole officielle » est prédominante dans ces textes. Elle désigne, dès le premier jour, un coupable qui passe très rapidement du statut de « potentiel » à celui de « plausible » et même de « certain ». Il s’agit du terrorisme islamiste d’origine pakistanaise représenté par un groupuscule djihadiste local affilié au Lashkar-e-Taiba : le Indian Mudjahideen. 

Cette accusation est d’abord portée par le secrétaire d’État à l’Intérieur G. K. Pillai au lendemain de l’attentat. Il est le premier à annoncer à la presse la « très probable implication » du terroriste David Headley dans l’attentat de Pune. Le premier ministre P Chidambaram préfère, pour sa part, éviter « les conclusions hâtives » et appelle à la prudence dans ce dossier.  Entre ces deux postures, la presse, de manière unanime, opte pour la première. Elle s’engouffre dans la brèche ouverte par G.K. Pillai et intègre systématiquement l’hypothèse de l’attentat islamiste dans tous les articles consacrés à la procédure judiciaire.

Aussi, dans les 16% qui sont de nature argumentative, les journalistes complètent les informations factuelles par une analyse qui tend à légitimer la théorie de G.K. Pillai, devenue, aussi, la leur. 

  • Le Times of India titre le 16 février : « IM footprint in city too strong to ignore » (30) 
  • Le Indian Express écrit : « Almost as per Headley script? Near Osho, next to Jewish Chabad House » (31) 
  • The Pioneer liste les douze suspects potentiels de l'attentat, tous membres des Indian Mudjahideen, dans un artcile intitulé "Dirty Dozen" (32) 
  • Et The Hundistan Time assure : « IM imprint clearer, India won't rule out foreign hand » (33) 

Seul The Hindu propose, dans un unique article noyé dans la masse, une hypothèse alternative. Le journaliste en charge de cette analyse datant du 19 février, Praveen Swami, explique que l’hypothèse des autorités indiennes n’est peut-être pas la bonne. Il rappelle que l’Inde est aussi confrontée au terrorisme hindou, porté par des groupuscules d’extrême droite dont Abhinav Bharat, responsable, entre autres, de l'attentat contre la mosquée Malegaon en 2006. Ceci étant, le journaliste ne cherche pas, à travers cet article, à accréditer la thèse d’un attentat hindou à Pune. Son but est plutôt d’expliquer une polémique naissante autour des motivations des terroristes. D’ailleurs il conclut le texte en exprimant ses doutes quant à la capacité logistique des extrémistes hindous à mener une attaque d’une telle envergure. La piste islamiste reste la plus crédible. 

Dans notre corpus, la position des autorités indiennes n'est presque jamais contestée. Au contraire, une surinvestissement dans cette voie explicative est observable par l’emploi d'un procédé argumentatif très efficace : celui de l’"évidence discursive". 

Selon theirry Guilbert, analyste du discours médiatique, ce procédé constitue l’un des ressorts majeurs de l’argumentation journalistique (34). C'est à travers lui que les journalistes donnent à leurs "suppositions" une dimension "véridique". L’idéologie fonctionne à l’évidence, nous dit Althusser (35) c’est-à-dire qu’elle repose sur la « reconnaissance » par tout un chacun que ce qui est dit est vrai, parce que évident. Or, les journalistes adoptent volontier cette posture en réduisant leurs propos à des causalités directes et à des énoncés simplifiés et « autoprobants » auxquels leurs lecteurs sont appelés à adhèrer librement.

Dès le premier jour, les journalistes établissent des rapprochements avec des faits qui ne sont pas forcements liés, créant par là des enchainements logiques potentiellement abusifs.

  • La bombe a explosé dans un restaurant fréquenté par des étrangers ? C'est là la signature habituelle des djihadistes pakistanais.
  • L'attentat a eu lieu à proximité d'un centre religieux juif ? C’est la réplique presque parfaite des attentats djihadistes de Bombay.
  • La déflagration intervient la veille de la reprise des pourparlers entre New Delhi et Islamabad ? Seuls les services secrets pakistanais ont à y gagner. 

La force persuasive de ces arguments provient de leur faculté à embrasser la doxa relative au bras de fer indo-pakistanais (36). Elle repose aussi sur un sentiment désormais ancré dans la société indienne d'une menace islamiste constante et diffuse.  Comme le note Roy Sudeshna et Susan Dente Ross, les discours politiques ne sont pas étrangers à ce sentiment de peur et de méfiance qui mine les relations entre l'Inde et le Pakistan aussi bien que les rapports entre les citoyens indiens d'obédience hindoue et musulmane. Mais les discours journalistiques sont, eux aussi, responsables de la dégradation générale des rapports entre ces deux groupes même si la presse évite de brandir l'islam ou l'hindouisme comme des arguments de force (37).   

De fait, dans notre corpus, l'islam n'est pas présenté comme une menace en soi. D'ailleurs, les mots "islam" ou "musulman" ne sont presque jamais employés dans les articles. Ce qui compte, aux yeux des journalistes, c'est le rapport de force entre New Delhi et Islamabad, source quasi-unique des tensions entre les deux pays et des manifestations violentes qui en résultent. La question géopolitique prévaut sur la question identitaire. Cette posture n'est pas caractéristique de l'attentat de Pune. Elle a aussi été adoptée lors des attentats de Bombay afin de préserver le vivre ensemble dans un pays multicommunautaire. 

Résultats 

La grande majorité des articles de notre corpus sont descriptifs, se contentant de communiquer des faits ou de rapporter des déclarations officielles. Les publications  de nature argumentative, établissent, quant-à-elles, des relations de cause à effet en suggérant des logiques d’enchainement, et les textes narratifs visent, le plus souvent, à capter le lecteur avec des récits à valeur émotive.  

Le gouvernement et les institutions indiennes sont les principales sources de l’information relayée dans la presse indienne. Les hypothèses relatives aux causes de l’attentat sont fournies par le ministère de l’Intérieur ou la police, et rarement par les journalistes eux-mêmes qui, durant la période étudiée, ne signent aucune enquête. Dans un premier temps, les affirmations des autorités ne sont pas contestées frontalement dans les journaux étudiés. Au contraire, elles sont complétées par des éléments de contextes qui appuient le propos. 

Parmi les pistes suggérées par le gouvernement indien, celle du terrorisme islamiste pakistanais occupe une place privilégiée dans le corpus analysé. Elle apparaît très rapidement dans les articles, suite à une déclaration du secrétaire d’État à l’intérieur G.K. Pillai qui, au lendemain de l’attentat, affirme que le terroriste américano-pakistanais David Headley, affilié aux islamistes du mouvement Lashkar-e-Taiba, avait surveillé les abords du German Bakery en 2008. À partir de cette déclaration, les articles se succèdent pour rappeler les rapports conflictuels de l’Inde avec son voisin pakistanais, pour recenser les actes terroristes et les menaces du Lashkar-e-Taiba dans la région, pour raconter l’implication de David Headley dans les attentats de Bombay et surtout pour commenter le parcours énigmatique de ce personnage entre l’inde, le Pakistan et les États-Unis. 

Ils établissent un lien de filiation abusif entre cette attaque et les précédentes rendant l’hypothèse du terrorisme islamiste « évidente ». Les déclarations officielles des membres du gouvernement, des hommes politiques et des enquêteurs viennent renforcer cette certitude et créer un consensus que très peu de voix discordantes viennent briser. 

Cependant, au fur et à mesure que l’enquête piétine, que des suspects sont arrêtés puis relâchés, les journalistes se montrent plus critiques et pointent du doigt, parfois de manière ironique, les égarements des autorités. 

The Hindu insiste, par exemple, sur l’absence de preuves irréfutables dans cette affaire. Les journalistes de ce quotidien national fondé en 1878, n’hésitent pas signaler les flottements de l’enquête, les défaillances policières et sécuritaires ou encore les tentatives de récupérations politiques des autorités. Ils sont les seuls, par ailleurs, à proposer une interprétation alternative à l’attaque en suggérant la possible implication d'un groupes d’extrême droite hindou dont la responsabilité dans des attaques similaires a été confirmée. 

De manière générale, une forme d’unanimité caractérise le traitement de l’attentat de Pune dans presse indienne anglophone. La parole gouvernementale est massivement relayée d’autant qu’elle correspond à une forme d’évidence géopolitique que les journalistes ne cherchent pas à contester.     

 

Références 

(1) Outil en ligne développé par la société Dow Jones & Company : https://www.dowjones.com/products/factiva/

(2) Pierre Paillé et Alex Mucchielli, L'analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Armand Colin, 2012

(3) Sur l’analyse de la couverture journaliste de faits qui relèvent d’attentats, lire : 

- Isabelle Garcin-Marrou,Terrorisme, Médias et Démocratie, Presses Universitaires de Lyon, 2001.

- Marc Lits (dir.), Du 11 septembre à la riposte. Les débuts d’une nouvelle guerre médiatique, Bruxelles, De Boeck Université/INA, coll. Médias Recherches, 2004.  

- Daniel Dayan, La terreur spectacle, De Boeck Supérieur « Médias-Recherches », 2006. 

- Diego Landivar, Émilie Ramillien et Marco Dell’Omodarme, « Les attentats comme objets médiatiques instables », in. Hommes et migrations, 2016pp. 19-30.

- Pierre Lefébure, Claire Sécail (dir.), Le Défi Charlie. Les médias à l’épreuve des attentats, Paris, Lemieux Editeur, 2016.

- Gérôme Truc, Sidérations. Une sociologie des attentats, Paris, PUF, coll. Le lien social, 2016.

(4) Annie Montaut. « L’anglais en Inde et la place de l’élite dans le projet national », in. Hérodote - Revue de géographie et de géopolitique,Elsevier Masson/La Découverte, 2004, 115 (115-4), pp.63-90.

(5) Helène Lucuyer, « The Times of India, a journalistic business », Ina Global, 15-04-2014 [en ligne] https://www.inaglobal.fr/en/press/article/times-india-journalistic-business-7538

(6) Marc Lits, Du récit au récit médiatique, Bruxelles, Éditions De Boeck Université, 2008.

(7) Benoit Grevisse, Ecritures journalistiques. Stratégies rédactionnelles, multimédia et journalisme narratif, De Boeck, 2008

(8) Scheufele Dietram, “Framing as a Theory of Media Effects”,  Journal of Communication, 1999, pp. 103-122.

(9) Patrick Charaudeau, « Discours journalistique et positionnements énonciatifs. Frontières et dérives », Semen[En ligne], 22 | 2006, mis en ligne le 01 mai 2007. URL : http://semen.revues.org/2793

(10) Sophie Moirand, Le Discours de la presse quotidienne : observer, analyser, comprendre, Paris : Presses universitaires de Paris, 2007

(11) Si cela se confirme, ce serait le premier attentat terroriste depuis ceux de Bombay en 2008.

(12) Plusieurs clients de la boulangerie sont des étrangers qui visitent le Ashram.

(13) Rappelons qu’une rivalité historique anime l’Inde et le Pakistan, alimentée par une défiance réciproque dont les sources sont aussi bien confessionnelles que politiques. Gilles Boquérat, spécialiste de la région, établit la liste des contentieux actuels entre les deux pays : « la question longtemps centrale du Cachemire, objet par le passé de nombreuses passes d’armes aux Nations unies, doit aujourd’hui rivaliser avec le positionnement face à l’extrémisme islamique, le partage des ressources hydriques des fleuves transfrontaliers ou la lutte d’influence en Afghanistan ». Gilles Boquérat, « Les relations indo-pakistanaises : retour sur une normalité conflictuelle », in. Hérodote 2010/4 (n° 139), p. 143-155

Sur les rapports conflictuels entre les deux pays, lire aussi : 

- Arif Jamal, Shadow War : The Untold Story of Jihad in Kashmir, Melville House, New York, 2009

(14) L'explosion a eu lieu alors que les liens entre l'Inde et son rival pakistanais semblaient se normaliser. Les deux pays avaient convenu de tenir des discussions à New Delhi le 25 février. Il s’agit là des premières négociations officielles depuis les attentats de Bombay

(15) Il a dit que des gens, en panique, courraient, des femmes pleureraient et que des personnes sortaient du café avec des blessures aux mains et aux pieds. Ils étaient tous des étrangers et ils pleuraient parce qu’ils étaient choqués. J’ai les ai aidé ». 

(16) Au lendemain de l’explosion, la peur s’est emparée des étrangers vivants aux abords du Parc Koregaon, surtout ceux résidents dans et à côté de la route principale du nord et du German Bakery. Le choc et l’incapacité à surmonter l’incident sont palpables. 

(17) Paralysés par la douleur, les parents d'Anindyee et d'Ankik Dhar ont dû attendre une journée entière avant de voir leurs enfants morts dans l'explosion de la bombe samedi soir (...) J'ai envie de me suicider. J'ai passé toute ma vie à mettre de côté nos besoins pour façonner la carrière de nos enfants et maintenant, Dieu a tout emporté.

(18) Leurs parents sont inconsolables et brisés. La mère qui a refusé de manger ou de boire depuis la tragédie marmonne la même question. Elle veut savoir quel mal ont peu faire ses enfants pour mériter un tel sort. 

(19) La famille d'Abhishek recevra éventuellement une indemnisation, mais pour ses amis cela n'a pas d'importance. "Nous sommes tous des étudiants venus à Pune pour étudier", explique un ami. "Nous ne voulons pas de compensation. Nous voulons simplement que les services de renseignement soient efficaces afin de prévenir les attaques ciblant les étudiants.

(20) Daniel Dayan, « Introduction. Terrorisme, performance, représentation. Notes sur un genre discursif contemporain », in Daniel Dayan, La terreur spectacle, De Boeck Supérieur « Médias-Recherches », 2006, p. 11-22.

(21) la police de Pune est toujours dans le noir et ne parvient pas à apporter une contribution concrète dans l'affaire. L'impuissance de la police de Pune est d'autant plus évidente ce lundi soir que le commissaire de police, Satyapal Singh, n'a pas réussi à répondre aux questions concernant l’enquête.

(22) Les pourparlers mal conçus avec le Pakistan, sont largement perçus comme favorisant la diplomatie pakistanaise, car l'Inde est arrivée à la table des négociations sous la pression des Américains alors que le Pakistan n’a fait aucune concession et n’a répondu à aucune demande indienne.

(23) Malheureusement, la soi-disant «guerre contre le terrorisme» est menée par le gouvernement sans aucune volonté ni planification politique. De plus, aucune analyse n'a été faite sur les circonstances qui engendrent le terrorisme. Un tel manque de compréhension a entraîné un affaiblissement de notre lutte contre cette menace.

(24) Embarras majeur pour l’unité antiterroriste du Maharashtra (ATS), suite à la libération sous caution de Abdul Samad Bhatkal par le tribunal mardi, faute de preuves.

(25) « Commentaries in India are heavily critical of the role of the Indian state, indicating how internal corruption and politics are contributing factors for the attacks and arguing for a self-re exive response to terrorism ». Sudeshna Roy and Susan Dente Ross, « The gaze of us and Indian media on terror in mumbai: a comparative analysis », In. Ibrahim Seaga Shaw, Jake Lynch, Robert A. Hackett. Expanding Peace Journalism: Comparative and Critical Approaches, Sydney University Press, 2011, pp. 191-216

(26) La police ne parvient pas à déceler une piste grâce aux relevés d’appels téléphoniques de Bakhtal. 

(27) L’homme des Indian Moujahideen au centre de l’enquête pour son rôle dans l’attentat de Pune du 13 février contre la German Bakery, Yasin Bhatkal alias Ahmed Yasin était habile à couvrir ses traces, laissant peu de preuves physiques sous la forme de contacts avec des associés susceptibles de prouver son implication dans des activités terroristes, selon les enquêteurs.   

(28) L'explosion de Pune a révélé des défaillances à tous les niveaux. La première est l’incapacité à sensibiliser le public. Si, même après tant d’explosions et d’avertissements, une telle explosion a pu se produire dans une zone fréquentée par des étrangers, alors aucun volume de surveillance policière ne sera jamais suffisant.

(29) Denis Ruellan, « La routine de l’angle », Questions de communication, 10 | 2006, pp. 369-390.

(30) L’emprunte des Indian Mujahideen est trop importante pour être ignorée

(31) Presque selon le scénario de Headley ? à proximité du Osho et du Chebab House

(32) En référence au film Dirty Dozen (Les salopards) de Robert Aldrich 

(33) L’implication des Indian Mujahideen est plus claire. L’Inde n’écarte pas la possibilité d’une implication étrangère dans l’attentat

(34) Thierry Guilbert, « Autorité et évidence discursives. Autovalidation dans les éditoriaux et chroniques du Point », Mots. Les langages du politique[en ligne], 107 | 2015, mis en ligne le 23 mars 2017. URL : http://mots.revues.org/21899 

 (35)Louis Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État. Notes pour une recherche », Positions (1965-1075), Paris, Éditions sociales, 1976, p. 67-125.

(36) Gilles Boquérat, « Les relations indo-pakistanaises : retour sur une normalité conflictuelle », Hérodote 2010/4 (n° 139), p. 143-155.

(37) Roy Sudeshna and Susan Dente Ross, « The gaze of us and Indian media on terror in mumbai: a comparative analysis », In. Ibrahim Seaga Shaw, Jake Lynch, Robert A. Hackett. Expanding Peace Journalism: Comparative and Critical Approaches, Sydney University Press, 2011, pp. 191-216